- déchaîner
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• 1665 ; « délivrer des chaînes » XIIe (→ désenchaîner); de dé- et chaîne1 ♦ Donner libre cours à (une force). Déchaîner la tempête. Déchaîner les passions, la jalousie. ⇒ déclencher, exciter, provoquer, soulever. Déchaîner l'hilarité générale, l'enthousiasme d'une foule. « déchaîner partout à la fois une campagne ouverte, officielle, retentissante » (Martin du Gard). « Et l'on déchaîne contre lui l'opinion publique » (Balzac). ⇒ ameuter.2 ♦ SE DÉCHAÎNERv. pron. Se déclencher, commencer avec violence. La tempête s'était déchaînée. « tous les bas instincts se déchaînant, les crimes se multipliaient » (Madelin).♢ (Personnes) Se mettre en colère, s'emporter. Il s'est déchaîné contre les députés de la majorité. L'opinion publique se déchaîne.⊗ CONTR. Apaiser, calmer, contenir, maîtriser.Synonymes :- allumer- attiser- entraîner- exalter- exciter- soulever- susciterContraires :- apaiser- calmer- contenir- éteindre- étouffer- maîtriser- modérer- museler- retenir- tempérerdéchaînerv.d1./d v. tr. Exciter, soulever, libérer de tout frein. Une polémique qui déchaîne les passions.d2./d v. Pron. Les éléments s'étaient déchaînés.|| (Personnes) S'emporter violemment. Tous se déchaînèrent contre lui.⇒DÉCHAÎNER, verbe trans.A.— Rare, vieilli. [Le suj. désigne une pers.] Retirer ses chaînes à une personne ou à un animal. Synon. désenchaîner. Quand ce fut fini, elle déchaîna la chienne (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Vendetta, 1883, p. 120) :• 1. ... après avoir pris hauteur et calculé la position du navire, Phileas Fogg fit venir Passepartout, et il lui donna l'ordre d'aller chercher le capitaine Speedy. C'était comme si on eût commandé à ce brave garçon d'aller déchaîner un tigre...VERNE, Le Tour du monde en 80 jours, 1873, p. 198.— P. métaph. Un jour un homme au large et froid cerveau Déchaîne les chiens de la guerre (BARBIER, Iambes, 1840, p. 258).B.— Au fig., usuel1. Péj. [Le compl. désigne une pers.] Libérer les forces combatives d'un individu, l'exciter, l'irriter. On ne pacifie pas d'un coup ce qu'on a si longtemps déchaîné (SAINTE-BEUVE, Volupté, t. 2, 1834, p. 163) :• 2. Désormais l'homme n'a plus d'autre loi que son bon plaisir, plus d'autre décalogue que l'estime qu'il fait de ses propres forces, la confiance qu'il met en soi-même, la violence de ses passions. Napoléon, qui a tant travaillé à enchaîner les hommes, a, en réalité, déchaîné l'homme.BLOCH, Destin du Siècle, 1931, p. 251.♦ Déchaîner contre. Et l'on déchaîne contre lui l'opinion publique (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 448).— Emploi pronom. [Le suj. désigne une pers.] Se mettre dans un état d'agitation immodérée, s'emporter avec violence souvent après une longue retenue. Sans parler d'Henriette qui se déchaîne comme une furie, toute en gestes, en paroles, avec de longues tirades (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p. 346).♦ Se déchaîner contre/sur qqn. Comme je souffre! Qu'ils me tourmentent! Ils sont tous déchaînés contre moi (FLAUB., Tentation, 1849, p. 404).2. [Suivi d'un compl. d'obj. dir. abstr.]a) Donner libre cours à une force latente ou à un sentiment contenu, d'ordre individuel ou collectif. Déchaîner le rire, le tumulte, l'enthousiasme, les passions. Ce bon ivrogne et ce cadet de Gascogne sont naturels. Ils déchaînent la sympathie (BARRÈS, Cahiers, t. 5, 1906-07, p. 161) :• 3. Il passait par des roulades, d'un air à l'autre, à peu près immobile, n'avançant la tête qu'au refrain. Alors il battait la mesure, déchaînait le tumulte, et tandis qu'il chantait encore je le voyais sourire si toutes les voix couvraient enfin le bruit de ferraille que faisait le train.GUÉHENNO, Journal d'un homme de 40 ans, 1934, p. 152.— Spéc., péj. Déclencher avec force un événement généralement défavorable. Quand elle [la bourgeoisie] aura déchaîné les événements, quand elle aura ouvert la crise (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p. XVII). Déchaîner une nouvelle guerre (GREEN, Journal, 1946, p. 64).— Emploi pronom. [Le suj. désigne un inanimé abstr.] Toutes les passions s'étaient déchaînées, balayant les hommes et les choses (ZOLA, Travail, t. 2, 1901, p. 121).b) [Le compl. désigne un élément de la nature] Libérer brusquement et avec violence une force naturelle. Déchaîner les vents, la tempête. [Cette force] qui déchaîne les vents, soulève les mers ou calme les tempêtes (DUPUIS, Orig. cultes, 1796, p. 6) :• 4. L'hiver vint, l'ouragan que la saison déchaîne,S'engouffrant une nuit dans les branches du chêne,Et le combattant, seul, sans frère et sans appui,Le balaya de terre et son ombre avec lui; ...LAMARTINE, Jocelyn, 1836, p. 751.— Emploi pronom. Se manifester dans toute sa violence. La tempête se déchaîne, les vents sifflent, les vagues grondent et les voiles sont déchirées (STAËL, De Allemagne, t. 2, 1810, p. 146).Prononc. et Orth. :[
], [
], (je) déchaîne [
]; PASSY 1914 : [
] en syll. finale. Enq. : (il) déchaîne /
/. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin XIIe s. deschaener « délivrer des chaînes » (Aliscans, éd. Wienbeck, Hartnacke, Rasch, 1718); 2. av. 1475 deschainé (d'une personne) « qui n'est plus lié par une obligation, qui se laisse aller à ses passions » (G. CHASTELLAIN, Œuvres, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 5, p. 254, 24). Dér. de chaîne; préf. dé-; dés. -er. Fréq. abs. littér. :501. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 268, b) 499; XXe s. : a) 1 010, b) 1 024. Bbg. GOTTSCH. Redens. 1930, p. 358, 361.
déchaîner [deʃene] v. tr.ÉTYM. Fin XIIe, deschaener; de 1. dé-, et chaîne. → Chaîne.❖1 Vx (dès le XVIe) ou archaïsme littér. Enlever ou détacher la chaîne de; détacher de la chaîne. ⇒ Désenchaîner, détacher, libérer. || Déchaîner des prisonniers. || Déchaîner un chien de garde.0.1 Il le fit déchaîner.A. Galland, les Mille et Une Nuits, t. II, p. 197.♦ Fig. Libérer (qqn) de son esclavage.2 Mod. Donner libre cours à (une force). || Déchaîner la tempête. || Déchaîner les passions, la colère, le courroux, la fureur, la haine, la jalousie, la rage de qqn. ⇒ Animer, entraîner, exciter, inciter (à), irriter, provoquer, soulever. || Déchaîner l'hilarité générale, l'enthousiasme d'une foule. ⇒ Déclencher. || Déchaîner une campagne de presse, une cabale. || Déchaîner l'opinion contre qqn. ⇒ Ameuter (→ Anarchie, cit. 4). || Déchaîner la guerre, un conflit, une bagarre.1 Je (…) saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets (…)Molière, Dom Juan, V, 2.2 Les esprits de ténèbres déchaînent dans Rome même les passions des chefs et des ministres de l'empire.3 Voir d'abord s'il y a moyen d'avancer la date du congrès de Vienne… Ensuite, et dès maintenant, déchaîner partout à la fois une campagne ouverte, officielle, retentissante (…)Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 139.4 Il commente, pour la foule, toutes les phases du match, annonce le point où la punition (que l'on appelle en français un penalty) déchaîne ou refrène les enthousiasmes, provoque, par ses traits d'esprit ou sa gesticulation, les réflexes du public.G. Duhamel, Scènes de la vie future, XII, p. 181.➪ tableau Verbes exprimant une idée de mouvement.——————se déchaîner v. pron.2 Mod. Se déclencher, commencer avec violence. || La tempête se déchaîne. || Les vents se sont déchaînés avec furie.5 Le mistral et le vent d'ouest s'y déchaînent en liberté (…)Ch. Maurras, Anthinéa, p. 206.♦ Sa fureur s'est déchaînée. || Les instincts excités se déchaînent.6 Seulement, tous les bas instincts se déchaînant, les crimes se multipliaient et d'étranges vices se propageaient que signalait la police.Louis Madelin, Hist. du Consulat et de l'Empire, Ascension de Bonaparte, t. I, p. 12.♦ (Personnes). Se mettre en colère, s'emporter (contre qqn). || Il s'est déchaîné à la tribune de l'Assemblée. || Se déchaîner contre qqn, (littér.) sur qqn.7 (…) jamais on ne s'était si fort déchaîné contre le théâtre.Molière, Tartuffe, préface.8 Belle d'amour, mais plus belle de haineUne amante qui se déchaînePromet bien pire que la mort (…)Valéry, Mélange, p. 225.——————déchaîné, ée p. p. adj. et n.ÉTYM. (XVe).2 Mod. et fig. Qui s'agite avec violence. ⇒ Démonté, furieux, impétueux. || Les vents, les flots déchaînés.9 C'est le mauvais temps qui m'a arrêtée (…) tout était déchaîné.Mme de Sévigné, Lettre 803, 1er mai 1680.10 Alors j'ai aperçu toute la mer : la mer déchaînée dans les roches, au-dessous de moi, presque à pic; la mer tout autour de moi, à perte de vue.Martin du Gard, les Thibault, t. II, p. 258.♦ (Personnes). Furieux, emporté. || Groupe de députés de l'opposition déchaînés contre le gouvernement. || Cet enfant est déchaîné, il ne reste pas en place. || Une bande de gamins déchaînés. ⇒ Excité. || Être déchaîné. → Avoir le diable au corps. — N. (rare). || Une bande de déchaînés.♦ ☑ Loc. fig. (vx). Le diable est déchaîné : c'est le désordre, l'agitation. → Archange, cit. 1. || C'est un diable déchaîné.11 Les ennemis sont dans la ville,Qui font les diables déchaînés.Scarron, Virgile travesti, II.12 Le diable est déchaîné en cette ville; de mémoire d'homme on n'a point vu de temps si vilain.Mme de Sévigné, Lettre 312, 20 mars 1673.♦ (Sentiments, passions). || Des passions déchaînées. || Instincts déchaînés. ⇒ Débordant, effréné. || Bruit, tumulte déchaîné par un orateur.13 Hélas ! il faut se modérer, se contenir, trouver, au lieu des phrases déchaînées qui viendraient toutes seules, des phrases atténuées et réticentes (…)J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XXIV, p. 232.❖CONTR. Amortir, apaiser, calmer, contenir, discipliner, enchaîner, maintenir, maîtriser, modérer, museler, restreindre.DÉR. Déchaînement.
Encyclopédie Universelle. 2012.